L'ACHETEUR EST UN VENDEUR COMME LES AUTRES !
- Pierre Coignard
- 11 juin 2024
- 6 min de lecture

Les acheteurs professionnels sont des gens éminemment respectables et disposent d'un savoir-faire exceptionnel. Ils savent comment et pourquoi une vente doit réussir et bien souvent, lorsque celle-ci échoue c'est moins de leur fait que de celui des commerciaux nouvelle facture à qui l'on a pas appris que vendre c'était faire acheter. Passons sur la responsabilité de ceux qui leur ont enseigné l'ignorance en leur faisant croire qu'il était possible de théoriser une pratique qui ne s'apprend que de cette façon. Quoi qu'il en soit, toutes les ventes réussies sont toujours le fait soit de la collaboration de deux grands professionnels lorsque le commercial est un acteur authentiquement formé au terrain et l'acheteur, qui est dans ce cas soit un ancien commercial passé de l'autre côté du miroir pour parfaire un savoir-faire soit un professionnel disposant de longues années d'expérience pratique de son métier. Lorsque le commercial reste dans le registre du preneur d'ordres, une vente réussie vient toujours du fait de l'acheteur qui, voyant une impuissance en acte, fait plusieurs pas en direction du vendeur pour l'aider à accéder au niveau où la vente, donc l'achat, est possible. Dans ce dernier cas, le commercial en question pense avoir vendu alors que c'est l’acheteur qui a fait tout le travail. Mais qu'est-ce au juste qu'une vente réussie ? Répondre à cette question c'est convoquer deux concepts qui nomment d'une part la valeur des choses et d'autre part le raisonnement dans l'acte d'achat ou de vente. La valeur des choses s'aborde selon deux aspects qui sont les propriétés intrinsèques dont elles disposent et la valeur subjective qu'en ont ceux qui selon le cas, les promeuvent ou les convoitent. En d'autres termes la relation entre l’objet valorisé et le celui qui le valorise. C'est ce que les acheteurs et les commerciaux nomment « la désirabilité ».
A cette valeur d'usage s'ajoute une autre valeur, la valeur économique : dans une économie monétaire, les termes de l’échange ne dépendent pas seulement d’appréciations individuelles, mais sont imposés par le marché lors de l’échange monétaire. La relation d’échange est alors abstraite de ses conditions particulières et concrétisée dans une institution, l’argent, considéré ici comme « objet ». Les deux parties doivent donc se mettre d’accord sur la valeur des objets échangés et parvenir à une objectivation commune de la valeur des choses qui occupent leur inter-relation dans le processus de « vente-achat ». Le prix facilite l'évaluation des biens échangés en ramenant leurs nombreuses caractéristiques qualitatives à une seule : la quantité. Le prix exprime donc la relation entre toutes les choses et représente la relativité absolue. Le prix est significatif car il représente l'ensemble des valeurs. Le raisonnement, second concept qui autorise la réussite d'une vente ou d'un achat (ce qui est la même chose en réalité, la seconde étant le miroir de l'autre) met en action la capacité de raisonner sur la rationalité de "l'agir" des deux protagonistes ainsi que celle de valider la pertinence de son action en fonction du contexte. L'acheteur professionnel, sait qu'il ne sait pas immédiatement si une action est rationnelle ou irrationnelle dans le cadre d'un processus d'achat, il comprend que cela va exiger de lui une réflexion appropriée. Il va construire pas à pas le savoir de son "agir" et décider ainsi de ce qu’il doit faire. La Raison de l'acheteur est d'abord, volonté, mais face à l'obstacle contingent représenté par la Raison du commercial, cette Raison devient théorique et se donne une représentation du problème rencontré. Puis, une fois le problème compris sa Raison s'affirme à nouveau comme volonté.
Cette capacité que l'on retrouve chez ces grands professionnels est d'un confort exceptionnel pour les commerciaux authentiques comme pour les acheteurs car c’est parce que tous deux comprennent cette méthode qu’ils appliquent qu'ils ne se bernent pas sur le résultat produit en lui accordant plus de valeur qu’il n’en a. Cette méthode qui signe la maturité professionnelle sert à réunir ce qui est séparé, l'acteur de la transaction et son objet, le professionnel et sa procédure, chaque partie et son action, et ce, en instituant entre eux une réciprocité fondée sur la conscience d’agir en connaissance de cause. Quatre étapes articulent l'acte d'achat tout comme l'acte de vente. La distanciation, la qualification, la quantification et l’abstraction. La première met en œuvre le respect mutuel que s'accordent les grands professionnels qu'ils soient acheteurs ou commerciaux, la seconde concerne la représentation quantitative que chacun se fait de l'objet de la transaction future qui est l'objectif commun ;c'est à dire parvenir à un consensus sur les qualités qui fondent leur Raison, la troisième, implique un consensus sur le prix comme vecteur de linéarisation des résistances subjectives pour que la transaction puisse exister, la quatrième, permet de valider la transaction indépendamment d'elle même en répondant à la question qui pour le commercial est : «pour quelle raison cet acheteur a-t-il acheté ce que je propose indépendamment du produit en lui-même » et du point de vue de l'acheteur, "pour quelle raison ais-je acheté ce produit indépendamment de ce qu'il est intrinsèquement et du prix que j'ai accepté". Considérés comme un tout, ces quatre étapes constituent une performance de pensée et, en ce sens, ces moments peuvent également être appréhendés à partir de l’échec toujours possible. Autrement dit, pour que l'achat soit ou que la vente naisse les deux professionnels savent que la réflexion doit piloter la cognition, au risque sinon de perdre l’essentiel. Ce qui manque aux néo-commerciaux est la capacité de ne pas agir sans réfléchir. A l'image d'Henri de La Tour d'Auvergne, dit Maréchal de Turenne qui face au pont qu’il devait prendre sous la mitraille, se sentit envahi par la peur, mais qui put se rasséréner en s'adressant à son cheval nommé Carcasse mais se la disant en réalité à lui même cette phrase passée à la postérité : «Tu tremble carcasse, mais si tu savais où je t’emmène, tu tremblerais bien plus encore ! » C'est ainsi que Turenne, objectivant sa peur réussit à vaincre même s'il perdit la vie à la bataille de Salzbach. Montecuccoli, grand adversaire de Turenne dira de lui: « Aujourd'hui est mort un homme qui faisait honneur à l'Homme. ».
Évidemment les rapports entre acheteurs et commerciaux ne doivent jamais conduire à l'affrontement, c'est même l'inverse qu'il faut rechercher. C'est l'objet de cet article. L'exemple ne vaut ici que pour la reconnaissance mutuelle des deux grands généraux et le courage de l'un d'entre eux. Les commerciaux et les acheteurs professionnels sont des «Turenne » et « Montecuccoli ». Ce qui manque aux néo-acheteurs est la capacité d'objectiver leur interlocuteur, un peu comme la spécificité du théâtre grec antique qui mettait à distance l'action se faisant alors spectateur des passions que provoque cette dernière par une représentation. L'acheteur dans ce cas ne se sent pas concerné directement au point d'analyser les mécanismes de la transaction à laquelle il participe ce qui l'empêche d'en comprendre les ressorts. Globalement, les commerciaux de métier et les acheteurs éponymes savent que l’impulsif et l’ascète manquent la distanciation, l’avare et le prodigue échouent au moment de la qualification, le cupide et l’économe échouent au moment de la quantification, le cynique et le blasé échouent au moment de l’abstraction. Ils savent également tous deux que la performance à la hauteur de laquelle ils doivent l'un et l'autre se hisser est de comprendre et de s'expliquer l'un et l'autre la raison commune de leur but. S'ils veulent comprendre ces raisons ils doivent les appréhender de manière critique en interrogeant la réflexion qui accompagne leurs stratégies. De cette pratique naît une estime mutuelle qui elle même simplifie à l'extrême l'ensemble du processus. C'est ainsi que pour modéliser la chose, il est utile de comparer cela à la méthode utilisée par les diamantaires d'Anvers qui, s'étant accordés sur l'objet de leur transaction (qualité, grosseur, pureté de la pierre etc...) s'échangent en silence de petits bouts de papiers sur lesquels chacun inscrit alternativement un prix jusqu'à accord mutuel. Chaque diamantaire veut parvenir à un accord avec l'autre. Ce but là prime sur la transaction elle-même. Il en est le moteur.
Les acheteurs professionnels sont des vendeurs comme les autres. Ce sont d'immenses professionnels qui maîtrisent les deux faces d'une même médaille. Les commerciaux de métier le savent c'est la raison pour laquelle ils voient immédiatement lorsqu'ils en rencontrent un, ou qu'ils le lisent, à quel point il sera possible de faire affaire avec lui. Inversement le même sentiment s'impose lorsqu'un acheteur rencontre un vrai professionnel de la vente. L'image se crée instantanément entre-eux. Les commerciaux devraient voir en ces grands acteurs du commerce des alliés au lieu de les considérer comme c'est trop souvent le cas comme des adversaires. Donner à un acheteur des raisons d'acheter ne suffit pas. C'est faire insulte à son professionnalisme. Il faut encore que ces raisons puissent créer en lui une représentation. Il a besoin de cela pour faire son travail. Si vous ne l'aidez pas pour quelle raison voudriez-vous qu'il vous aide ? Il doit se convaincre lui-même que les raisons que vous soumettez à son expertise valident sa propre vision du «monde ». Ainsi, vous trouverez ensemble un consensus équitable pour les deux parties qui rendra possible le chèque en fin d'entretien. Dans le cas contraire le commercial aura échoué et l'acheteur aura perdu la partie.
Pour éviter cela, et augmenter vos CA et marges, pour éviter l'attrition, recrutez de vrais commerciaux formés exclusivement au feu du terrain ou faite éduquer professionnellement vos commerciaux aux pratiques qui feront d'eux pour vous un redoutable avantage concurrentiel
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